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Sauvegarder le lac Tchad est une condition indispensable pour la paix et le développement dans le Sahel et en Afrique

[1]Una ressource dont dépendent trente millions de personnes

LE SAUVETAGE DU LAC TCHAD, ESPOIR DE PAIX

Article par Romano Prodi* sur Le Monde Diplomatique [2], juillet 2014

(leggi qui l’articolo in italiano [3])

Rare ressource en eau pour un bassin de trente millions d’habitants au coeur du Sahel, le lac Tchad disparaît sous la pression des riverains et l’avancée du désert. Une revitalisation devient d’autant plus indispensable qu’elle favoriserait la paix dans une région instable. L’ancien président de la Commission européenne plaide ici pour la réussite du programme.

Le lac Tchad [4] se trouve au coeur d’une région d’Afrique centrale caractérisée par une désertification galopante [5] et une croissance démographique record. Situé à la porte du Sahara, il est vulnérable au régime des pluies, qui font depuis toujours fortement varier son niveau. La topographie particulièrement plate de son bassin provoque des mouvements spectaculaires. Depuis 1962, les eaux ont baissé de quatre mètres. En outre, à partir des années 1980, les évolutions climatiques, telles que la sécheresse et les pluies trop faibles, ainsi que la surexploitation des ressources par les riverains – 75% des eaux seraient détournées en amont – ont ramené sa taille à moins de deux mille cinq cents kilomètres carrés – à peine 10 % de ce qu’elle était il y a cinquante ans.

En dépit des efforts déployés localement pour assurer une gestion plus rationnelle des affluents (notamment le Chari et le Logone, qui se rejoignent à N’Djamena), les besoins en eau de trente millions de personnes [6] pour l’alimentation, la pêche, l’élevage, l’agriculture, dans un contexte de raréfaction, suscitent des tensions et accélèrent la disparition de cette ressource fondamentale. Important foyer de bio – diversité pour cette région d’Afrique, le lac Tchad risque de subir le même sort que la mer d’Aral, en Asie centrale. Si rien n’est fait, il pourrait disparaître rapidement [7].

Au cours des dernières années, les Etats de la région ont été confrontés à des crises politiques, à la montée de la pauvreté et à des interventions internationales : coups d’Etat au Niger et en Centrafrique, violences au Nigeria, tensions postélectorales au Cameroun, opérations militaires au Tchad… La disparition du lac ne pourrait qu’aggraver cette instabilité [8], ce qui devrait inciter les gouvernements à agir [9].

Il y a deux ans, les pays riverains, soit le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, et les autres membres de la Commission du bassin du lac Tchad [10] (CBLT) (1) ont adopté un plan quinquennal d’investissement (2013-2017) de 900millions d’euros. Environ 10% de cette somme devrait être affecté aux actions transfrontalières directement gérées par la CBLT, le reste étant administré par les pays membres et consacré aux zones limitrophes du lac.

A la conférence de Bologne [11], en avril dernier, les donateurs ont montré leur soutien de principe à ce plan; la Banque mondiale, notamment, pourrait largement contribuer à son financement dans le cadre de son soutien aux pays de la région du Sahel.

Quant à la Banque africaine de développement (BAD) [12], elle a déjà pris l’engagement ferme de débloquer 80 mil lions d’euros.

Ce plan prévoit [13] des interventions destinées à conserver le lac en tant que ressource nécessaire à la lutte contre la pauvreté, à la stabilisation et à l’amélioration des conditions économiques et environnementales de la région. Il ne se contente pas d’intervenir directement sur les niveaux hydriques et sur la qualité de l’eau disponible, mais veut également accroître la productivité des agriculteurs, des pêcheurs et des éleveurs du bassin. Il tend aussi à renforcer les processus d’intégration et de collaboration régionales, en engageant activement la population locale dans les prises de décision et dans la sauvegarde de ses sources de revenus.

Ne plus attendre de nouvelles études

Ces actions se déclinent en sousprogrammes transfrontaliers et nationaux gérés par chaque pays riverain. Il s’agit d’une part de protéger les écosystèmes et de soutenir les activités économiques locales: réhabilitation des centres de pêche, développement de l’élevage de bétail, diffusion de nouvelles techniques pour protéger les récoltes des insectes, parasites ou champignons, et les rives du lac des herbes invasives.

Les projets visent à augmenter la production tout en limitant les dommages à l’environnement, en particulier l’utilisation de pesticides, et en protégeant la biodiversité animale et végétale.

D’autre part, il faut améliorer les ressources hydriques du bassin en qualité et en quantité, aussi bien à travers la captation et le dragage du Chari-Logone que par l’idée – beaucoup plus ambitieuse – de transférer, pendant les saisons favorables, une partie des eaux de la rivière Oubangui, affluent du fleuve Congo (2).

Le projet Transaqua [14], imaginé il y a plus de trente ans par l’ingénieur italien Marcello Vichi [15], préconisait une infrastructure multifonctionnelle susceptible de charrier un volume considérable d’eau du bassin du Congo au bassin limitrophe du lac Tchad.

Afin d’accélérer ces projets, les pays membres de la CBLT se sont engagés à ne plus subordonner leurs décisions à la réalisation de nouvelles études, après celles, déjà nombreuses, qui ont ponctué les cinquante ans de vie de la Commission. Car, face à la menace d’une mort imminente du lac, le temps est compté : il faut agir pour inverser la tendance et redonner espoir aux populations.

Le programme de développement durable du lac Tchad [16] (Prodebalt), lancé en 2008 avec un budget de 60 millions d’euros, et financé pour moitié par la BAD [17] avec le concours de l’Union européenne, a été actualisé. Il prévoit notamment des travaux de défense et de restauration des sols, ainsi que la fixation de dunes sur huit mille hectares ou la régénération des écosystèmes pastoraux sur vingt-trois mille hectares.

Si les pays membres de la CBLT contribuent eux-mêmes à la réalisation du plan quinquennal, ils lancent aussi un appel international sans précédent. La mission de récolter ces contributions – publiques et privées – a été confiée à deux personnalités africaines de premier plan : l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien ministre burkinabé des affaires étrangères Hama Arba Diallo. Le président en exercice de l’Union africaine, le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, et la présidente de la Commission de l’Union africaine (équivalent de la Commission européenne), la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, soutiennent l’initiative.

Ce plan entend prouver la capacité des pays africains à affronter des crises de grande envergure. Il incitera par ailleurs à une plus forte solidarité internationale, non seulement par des aides financières, mais aussi en mettant à disposition de la CBLT des techniciens et des scientifiques expérimentés.

C’est pour toutes ces raisons qu’a eu lieu à l’initiative du président nigérien Mahamadou Issoufou, les 4 et 5 avril 2014 à Bologne une conférence internationale [11] dont le but était de réunir des financements pour le sauvetage du lac Tchad (3).

Elle s’est conclue par la déclaration de Bologne [18], qui définit les priorités. Elle prévoit la constitution d’un comité de suivi dont la tâche sera de continuer la mobilisation internationale.

La création d’un comité scientifique mondial assurant au projet les compétences les plus qualifiées devrait suivre.

Le rapport que j’ai remis [19] au Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) au terme d’une mission d’envoyé spécial du secrétaire général pour le Sahel [20], au cours de laquelle j’étais chargé de rechercher des solutions pouvant réduire les tensions, renforcer le dialogue et dépasser les conflits, suggère cinq directions prioritaires d’intervention, à commencer par la nécessité de garantir l’approvisionnement des populations en eau et, bien sûr, en nourriture. J’ai également souligné leurs exigences en matière d’infrastructures, de santé, d’instruction et d’énergie.

Ce plan se concrétise [21] alors que surgissent des foyers de violence [5] sur des territoires contigus toujours plus étendus. Après le Darfour, la Libye, le Soudan et le Mali, la région traverse une nouvelle crise majeure avec la déstabilisation de la République centrafricaine et la multiplication des actes terroristes du groupe Boko Haram [22], qui dévastent notamment les provinces septentrionales du Nigeria et du Cameroun.

Un projet comme celui de la revitalisation du lac Tchad correspond justement à une stratégie de prévention ou d’endiguement des conflits [23]. Il constitue l’un des plus grands espoirs régionaux face à la pauvreté et au désespoir de la jeunesse, mais aussi face aux guerres et au terrorisme. Coordination politique et militaire LA nouvelle orientation politique des pays de la CBLT a déjà produit ses premiers effets dans le renforcement de l’ordre public et de la sécurité collective. Réunis en minisommet à Nouakchott, le 16 février, les présidents de la Mauritanie, du Burkina Faso, du Mali, du Tchad et du Niger ont créé le “G5 du Sahel” afin de coordonner leurs politiques de développement et de sécurité.

A sa tête, le chef de l’Etat mauritanien, M. Ould Abdel Aziz, définit ce groupe comme le “cadre institutionnel de coordination et de surveillance de la coopération régionale qui entend répondre au double défi de réaliser des projets de développement économique et social, et de coordonner les politiques de sécurité “. Un contingent militaire commun [24] de trois mille hommes sécurisant les régions transfrontalières du lac Tchad a été lancé au Cameroun en mars dernier, lors d’une réunion des ministres de la défense consacrée à la sécurité. La coordination entre les pays membres de la Commission a été renforcée à l’occasion d’autres initiatives internationales, telle la conférence de Paris, organisée le 17 mai dernier pour faire face à la menace Boko Haram (4).

C’est le point de départ d’un vaste programme de sauvegarde dont la réalisation exige la plus grande rigueur et la plus grande transparence. Avec l’aide des donateurs, et d’abord de la BAD et de la Banque mondiale, il importera de mettre en place une unité de contrôle qui garantisse la saine gestion de ce projet. Il en va de son crédit et de son avenir. Certes, la réalisation de ce plan ne résoudra pas à elle seule les problèmes du Sahel et des régions plus méridionales – en particulier ceux du bassin du lac Tchad.

Mais elle peut amorcer un processus de transformation des méthodes de gestion locales, nationales et régionales. Lequel lancerait à son tour une dynamique de développement économique, ouvrant de nouvelles perspectives pour les populations concernées, minées par la pauvreté et les conflits.

Travailler ensemble à l’amélioration des conditions de vie des peuples est le meilleur instrument dont nous disposions pour dépasser les méfiances, les rancoeurs et les divisions qui, sous n’importe quels cieux, sont autant d’obstacles insurmontables à la consolidation de la paix et du développement [8].

 

Notes

* Ancien président du conseil italien et de la Commission européenne. Envoyé spécial de l’Organisation des Nations unies pour le Sahel en 2012 et 2013.

(1) La Commission du bassin du lac Tchada a été créée en 1964 par les quatre pays riverains du lac, auxquels se sont jointes la République centrafricaine et la Libye. D’autres pays également intéressés par le sort du bassin, tels le Soudan, l’Egypte, le Congo et la République démocratique du Congo, ont un statut d’observateur. www.cblt.org
(2) www.transaquaproject.it
(3) Conférence organisée à la Fondation pour la collaboration entre les peuples.
(4) Qui a également permis de réconcilier Cameroun et Nigeria.

(leggi qui l’articolo in italiano [3])